Galerie Tarantino

Paris



Simon Felice DELINO, gravé par
Vincenzo MARIOTTI

( ca. 1675 - 1738 )

Fête publique pour la guérison de Louis XIV

1687
Eau-forte
804 x 553 mm



Bibliographie

:

Bibliographie :  L. Salerno, Piazza di Spagna, Cava dei Tirreni, 1967, p. 111-112.
M. Fagiolo dell’Arco et S. Carandini, L’effimero barocco. Strutture della festa nella Roma  barocca del’600, Rome, 1977, pp. 310-312
M. Fagiolo dell’Arco, Corpus delle feste a Roma/1 – La festa barocca, Rome, Edizioni De Luca, 1997, pp. 532-534
K. Salatino, Incendiary Art: The Representation of Fireworks in Early Modern Europe, Los Angeles, Getty Research Institute, 1998, p. 37 et fig. 30, p. 39

S. Walker in Life and the Arts in the Baroque Palaces of Rome, Kansas City Missouri 1999, pp.122-123


De grande qualité, la gravure de Vincenzo Mariotti dont les dimensions soulignent bien l’importance de l’évènement mis en image représente les fastueuses cérémonies  publiques organisées en avril 1687 à Rome, sur la pente de la Trinité-des-Monts pour célébrer le rétablissement du roi de France à la suite d’une grave maladie survenue quelques mois plus tôt.

Louis XIV avait en effet survécu à la douloureuse et périlleuse opération chirurgicale d’une fistule anale, mal généralement mortel au XVIIe siècle[1]. Pratiquée à Versailles le 18 novembre 1686, suivant une méthode encore expérimentale, la Grande opération est perçue comme un succès salvateur sans précédent délivrant le fistuleux de ses intenables souffrances, sans provoquer trop de dégradations sur le corps du divin monarque. Bien que d’autres interventions aient été nécessaires (la dernière incision sera pratiquée le 7 janvier 1687), le soudain rétablissement de ce roi héroïque est immédiatement envisagé comme un évènement miraculeux, que le pouvoir royal saura rapidement instrumentaliser[2]. Les célébrations et les messes en action de grâces se multiplient dans tout le royaume et au-delà. 

À Rome, c’est sous l’autorité du cardinal César d’Estrées que se déroulent les festivités destinées à commémorer la providentielle guérison. Initialement programmée le 11 avril 1687, les réjouissances sont reportées en raison du mauvais temps et une partie des ornements éphémères de la façade de l’église de la Trinité-des-Monts est même retirée afin que soient restaurées les peintures abimées par la pluie[3]. La fête peut enfin avoir lieu le dimanche 20 avril 1687 alors qu’un Te Deum avait été donné à Saint-Louis-des-Français après la célébration de Pâques. Comme lors des festivités pour la naissance du Dauphin de France en 1662 ou à l’occasion de la récente révocation de l’Édit de Nantes, proclamée en 1685 par l’Édit de Fontainebleau, le lieu choisi pour l’évènement est la colline de la Trinité-des-Monts. Traditionnellement, l’église et sa montée constituaient le site privilégié des grandes manifestations publiques projetées par la représentation française à Rome.

L’ambassadeur d’Estrées, qui avait été l’initiateur de la fête célébrant publiquement la victoire de Louis XIV sur le Calvinisme en 1685, conduit les cérémonies pour la guérison du roi qui marquent la présence française dans la ville. L’organisation est solennelle. Le programme allégorique et iconographique de la fête de la Trinité-des-Monts fut vraisemblablement projeté par l’abbé Elpidio Benedetti, factotum de la couronne de France,  et, comme l’indique Vincenzo Coronelli dans sa relation de l’évènement, Roma festtegiante, placé sous la responsabilité du « Sieur de la Chayse », chirurgien du cardinal d’Estrées[4]. Quant aux créations musicales qui accompagnent l’ensemble des célébrations,  elles sont dues à Arcangelo Corelli, artiste de renom attaché à la cour de Christine de Suède et proche du cardinal Pietro Ottoboni. C’est donc au son des trompettes, des tambours et des timbales que se déroulent les réjouissances qui débutent par un concert d’environ une heure. L’orchestre joue sur une grande scène ouverte construite au pied de la montée, visible au centre de la composition gravée. Au premier plan, la piazza di Spagna  est transformée en véritable théâtre provisoire à ciel ouvert avec ses nombreux musiciens et ses invités privilégiés groupés sur des estrades couvertes, élevées à côté de la fontaine de la Barcaccia. Tout l’espace de la place, de la pente et de l’église est occupé et les spectateurs nombreux se pressent aux fenêtres des bâtiments environnants.

Ainsi que l’indique la gravure, Simon Felice Delino, dessinateur et aquafortiste élève de Carlo Fontana, est en charge de l’appareil décoratif. Ce père minime de la Trinité-des-Monts réalisera à Rome plusieurs décors éphémères, notamment la pompe funèbre de la reine Christine de Suède dans l’église de Santa Maria in Vallicella en1685 ? ou 1689, gravée par Nicolas Dorigny[5]. La gravure de Mariotti, élève d’Andrea Pozzo, présente le somptueux décor de fête conçu par Delino, lequel se développe dans un mouvement ascendant très marqué et culmine avec le feu d’artifice au sommet de la Trinité et ses nombreuses déflagrations marquant le départ des fusées.  Par une mise en scène savamment élaborée, Delino a en effet soigneusement transformé l’espace urbain depuis la piazza di Spagna jusqu’à l’église française qui la surplombe en suivant la pente naturelle de la colline dont les arbres furent curieusement parés de quantité d’oranges et de citrons lumineux[6]. Pour la façade de la Trinité, abondamment illuminée par quelque cent vingt torches, il a élaboré une ornementation provisoire glorifiant Louis XIV et son règne. Emmenée par la Gloire, la figure allégorique de l’Éternité se distingue parmi les nuages feints. Assise sur un char triomphant tiré par quatre chevaux, elle apparait en majesté au sommet de l’édifice, entre les deux campaniles. Surmontant cette machine pyrotechnique, deux anges soutiennent une couronne rehaussée des lys dorés sur un fond bleu. Au centre la Renommée découvre la figure d’un soleil en gloire. L’abondant décor est complété par des figures de fleuves qui déversent généreusement leurs eaux et par de nombreux putti tenant des torches d’où partent des bras de lumière. Dans la partie inférieure, la Force et l’Espérance encadrent le portique d’entrée tandis que, de part et d’autre de l’église, deux obélisques couronnés du lys royal sont ornés de candélabres allumés. Enfin, le couvent des Pères minimes adjacent était également éclairé de pas moins de quatre-vingts torches et chandelles. Le spectacle pyrotechnique fut grandiose, nous disent les chroniques contemporaines, avec six mille fusées lancées pour la grande girandoleet plus de six cents autres tirés lorsque les machines s’embrasèrent et conclurent le triomphe romain du roi miraculé.

Une gravure anonyme[7] reprend à l’identique le motif de l’église de la Trinité-des-Monts et de son ornement fastueux et en livre une image plus précise où se distinguent davantage la richesse, la diversité et la profusion de l’ensemble dont parle Coronelli[8], avec ses figures nombreuses, ses candélabres multiples, ses statues, ses médaillons et ses cartouches variés.


Audrey Adamczak



[1]Stanis Pérez, La santé de Louis XIV. Une biohistoire du Roi-Soleil, Paris, Perrin, 2010, p. 93-107.

[2]Voir G. Sabatier, Le prince et les arts : stratégies figuratives de la monarchie française de la Renaissance aux Lumières, Paris, Champ Vallon, 2010, p. 439.

[3]Voir Giovan Battista Molo, Ragguaglio delle Sontuose Feste celebrate in Roma in honore della ricuperata salute della sacra real maestà christianissima di Luigi 14,  rè di Francia e di Navarra, Rome, 1687, dans Fagiolo dell’Arco, 1997, vol. 1, p. 532.

[4]Vincenzo Coronelli, Roma festeggiante nel Monte Pincio negli applausi alle Glorie della Pietà del Cristianissimo Ludovico di Francia in occasione della da lui estirpata Eresia mediante l’editto di Fontanablo e della ricuperata sua salute, Venise, 1687 ; voir L. Salerno, 1967, p. 111.

[5]Inventaire du Fonds français – Graveurs du XVIIe siècle, t. 3, Paris, Bibliothèque nationale, 1970, n° 5, p. 492 ; et M.Fagiolo dell'Arco, 1997, p. 548.

[6]Le monumental escalier de la Trinité-des-Monts ne fut construit par Francesco de Sanctis qu’au XVIIIe siècle (1723-1726).

[7]Id., p. 534, repr.

[8]Roma festeggiante, etc., Venise, 1687